L'utopie aujourd'hui, s'est échappée de la volière des chimères et hante à nouveau les coulisses de l'histoire. C'est elle qui, en philosophie, rappelle les exigences de la liberté à l'encontre des appareils d'État et des pouvoirs économiques supranationaux. C'est elle qui, dans le secteur de l'éducation permanent, conjure un modèle d'organisation sociale fondamentalement différente, permettant le développement de toutes les potentialités individuelles. C'est encore elle qui, dans le domaine de la fiction, invente des mondes meilleurs ou pires que le nôtre, mesurant le présent à l'aune de l'avenir. Née de la révolte contre une réalité inhumaine, l'utopie dénonce l'aliénation et esquisse un modèle de société autre.

    Qu'il se présente dans une pure fiction, dans un texte théorique ou dans un discours messianique, ce modèle peut déclencher une fermentation idéologique qui aboutira éventuellement à une implantation historique, comme en témoignent par exemple l'odyssée des Shakers, la Révolution soviétique ou le mouvement communal inspiré par le socialisme dit utopique. Mais même lorsqu'elle ne parvient pas à s'implanter dans le réel, l'hétéropolis conserve sa fonction critique et contribue à la fermentation idéologique qui incite les êtres humains à humaniser non seulement la nature, mais surtout leurs propres sociétés. Chacune des contributions à ce volume fait saillir à sa façon cette puissance historiogène de l'imagination utopique.